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C'est un film de procès, procès réel qui s'est déroulé en 2013 à Saint-Omer qu' Alice Diop a suivi. Procès d'un infanticide. Alice Diop est documentariste mais elle a éprouvé le besoin de réaliser un film de fiction en inventant le personnage de Rama, une écrivaine qui assiste au procès pour écrire un roman.
L'accusée, Laurence Coli, a abandonné sa fille de 15 mois à la marée montante sur la plage de Berck. Quand la juge lui demande pourquoi elle a tué son enfant, elle ne sait pas justifier son geste et affirme qu'elle attend du procès la réponse.
Nuances de bruns, la figure énigmatique de la femme se découpe sur le bois verni, son vêtement se confond avec lui. C'est un film de paroles. L'accusée s'exprime dans un français châtié, impeccable. Elle se définit comme étudiante en philosophie.
En face d'elle, la juge est bienveillante, comme l'avocate, qui cherchent à comprendre le geste mais aussi à faire apparaître la personnalité énigmatique.
Déni de grossesse. Pas seulement, déni d'existence pour la petite Elise dont la naissance ne sera jamais déclarée. Déni d'études aussi, Laurence fut une élève douée promise à de hautes études, pourtant elle n'a jamais obtenu sa licence. Est-elle même inscrite à la faculté? Elle rédige - dit-elle - une thèse sur Wittgenstein. Sa directrice de thèse, appelée comme témoin à la barre, la descend en flèche. Comment une femme africaine pourrait-elle choisir un tel sujet, un philosophe si éloigné de "sa culture"? On voit poindre le mépris de classe, le mépris de race? D'autant plus que l'étudiante en philosophie invoque maraboutage et sorcellerie dont elle a voulu protéger sa fille. A voilà une image qui correspond plus aux idées que le commun des mortels a d'une femme africaine, surtout quand elle a tué son enfant.
Dans la salle, deux femmes entrent en résonnance avec le drame. La mère de Laurence, mère absente qui ne comprend rien, mais aimerait comprendre. L'écrivaine Rama, elle-même enceinte, qui entretient un rapport difficile avec sa propre mère. Les séquences en dehors du tribunal mettent en scène ces dernières. Au lieu de donner une récréation entre les interruptions de séances, ajoutent de l'angoisse. Rama est souvent au bord du malaise.
Plaidoirie admirable de l'avocate qui invoque la folie, mais surtout la solitude.
Cette femme est un fantôme.
Etudiante fantôme, qui n'assiste pas aux cours, ne passe pas les examens. Grossesse fantôme, grossesse ignorée, cachée, découverte avec la plus grande surprise par le géniteur qui laisse sa famille dans l'ignorance de sa liaison. Femme enfermée qui sort le moins possible, ne sort pas son enfant, n'a aucune vie sociale en dehors d'une relation épisodique avec un homme assez âgé pour être son père..
Mythe de Médée avec les images de Pasolini, en conclusion du drame.
Un très beau film, très émouvant dont on ne sort pas indemne.
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