lundi 23 mai 2011

Vidomegon

Ce mot fon désigne les enfants placés hors de leur famille.

Traditionnellement, il est courant que des parents envoient leur enfant chez des tantes, des soeurs, des grand mères, des familles sans enfants... Les parents voient cet éloignement comme un enrichissement pour l'enfant qui sort de sa concession ou de son village et découvre un environnement nouveau. Ce phénomène s'inscrit donc dans le contexte de la solidarité africaine et dans celui de la famille élargie.

Nous avions été très surprises quand toute une bande de garçons s'étaient présentés comme les "frères de Sébastien"..."Même père, même mère" est une expression que nous avons aussi entendue, ce qui signifie qu'on peut être également frère "même père, mais de mère différente" ou même sans lien de sang autre qu'un vague cousinage mais élevés dans la même concession ou tout simplement d'une même classe d'âge.

Malheureusement Vidomegon désigne aussi une réalité beaucoup plus cruelle : les petits enfants esclaves. Ils travaillent au marché, petites bonniches, ou gardent des enfants à peine plus jeunes qu'elles, quand ils ne sont pas des enfants vendus pour aller casser des cailloux dans des carrières au Nigeria. Enfants placés chez des parents peu scrupuleux ou vendus à des patrons. Enfants maltraités, main d'oeuvre quasi gratuite...

C'est le film de Valerio Trufa qui m'a alertée sur ce scandale. "les enfants Esclaves" projeté samedi dernier au cinéma de la Lucarne dans le cadre d'un après midi consacré au cinéma béninois. J'ai découvert une ampleur à cette exploitation que je ne soupçonnais pas. Une émotion et une colère qui en me lâchent pas.

Une culpabilité aussi.

Comment nous, touristes béats, ne nous sommes jamais interrogés au sujet de ces petites filles portant un plateau sur la tête, vendant des boules de pâtes dans des feuilles de bananiers...Comment la petite fille de la Gare Routière de Bohicon qui nous avait rabrouées avec un "Yovo!" énergique parce que nous l'empêchions d'installer le tabouret de bois support de son commerce... les petits garçons maniant de lourdes dame-jeannes d'essence..nous les avions regardés, regrettant qu'ils refusent qu'on les prennent en photo... comment n'avions nous rien soupçonnés?

Réponses facile :
- c'était la période des vacances, nous ne pouvions pas penser que leur travail n'était pas temporaire.

Cela me donne sérieusement à réfléchir à nos observations de voyageuses pourtant attentives au quotidien qui se déroule autour de nous. Nous aurions pu deviner . Cela aurait dérangé nos vacances de découverte enthousiaste.

Personne ne nous a donné d'indice. Jamais ce problème n'a été évoqué. Trop douloureux. Nos guides, nos interlocuteurs, pourtant au courant, ne peuvent donner aux visiteurs une image aussi négative qui ternirait leurs vacances.

Peut être ne voulions-nous pas voir? Ni entendre. Dans l'avion, un Italien, que nous avions pris pour un prêtre, nous avait prévenues à mots couverts.

En plus de présenter cette exploitation indigne, le cinéaste ou la cinéaste puisque le film a été réalisé collectivement, donne la parole aux parents, bien impuissants dans une situation matérielle insoutenable, et aux petites filles qui les interpellent:

- "Pourquoi nous avez vous fait naître puisque vous ne pouviez pas nous élever?"

- "Pourquoi continez vous à porter de nouveaux enfants puisque vous avez placé les aînés"

Pendant le débat qui a suivi la projection, une évidence se fait jour : le sort des enfants découle directement de l'ignorance des femmes et de l'absence de contraception. J'interviens à ce sujet. Apparemment plus tabou que celui de la polygamie qui occupe l'assistance. Je suis effarée que les seules personnes soulevant la question dans le film, soit un curé et un imam. Ces religieux sont ils vraiment qualifiés pour expliquer la contraception aux femmes? Les béninois présents dans la salle me regardent de travers. Ces deux religieux jouissent dans leur pays d'une grande réputation.

Et me re-voilà culpabilisant à nouveau d'avoir l'esprit étroit, de ne pas savoir me déprendre d'un anticléricalisme typique d'une enseignante de l'École de Jules Ferry. Je balaye d'un geste la Méthode Ogino. Ai-je l'esprit étroit? Peut- être Ogino est mieux que rien?

Et me voilà encore à me poser des questions sur ma manière d'observer! Faut-il se dépouiller de toutes ses convictions à Orly pour arriver, en pays lointain, libre de tout a-priori? Ou au contraire, ces convictions ne devraient elles pas aiguiser mon sens de l'observation.

3 commentaires:

  1. Tu soulèves des questions qui me touchent beaucoup. Je suis partie en mission humanitaire l'été dernier au Bénin et comme à chaque que je voyage loin, me trottent dans la tête tous ces questionnements. Il est très difficile d'avoir un positionnement juste car nous n'avons pas les mêmes cultures...

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  2. Les coutumes sont bien différentes des nôtres, en RDC il y a aussi des problèmes de scolarité, car les enfants travaillent dans des mines, or rouge, épouvantable situation. beau post
    http://louisette.eklablog.com/

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  3. Tu as le mérite de te poser des questions par rapport à ce que tu vois et ce que tu fais, ce n'est pas le cas de tous les touristes :-(

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